[Résumé simplifié: Rifraf est avec Shin Lao (un élève de Babu le sage) sur le port. Ils rencontrent Anasthasia et Thalestris et les invitent aux jardins du dénuement pour manger avec eux. Après le repas, Grand Dédé, un habitué des jardins, demande à Rifraf de lui rendre service. Hier, Grand Dédé est allé aux pontons. Il a gagné beaucoup d’argent en pariant, mais il s’est battu avant de récupérer son argent et on l’a expulsé. Il n’a plus le droit de retourner aux pontons. Il propose à Rifraf d’aller chercher l’argent à sa place.]
La chaussée du lac est déjà active en ce Celestia matinal, le 12 de lestes semailles. Dans deux jours, c’est la fête des marins. Tous les quais seront bondés de pèlerins, de marchands, de tabergistes venus comme d’habitude faire leur marché, mais aussi de saltimbanques, de jongleurs, de vendeurs de calamars grillés, de pêcheurs, matelots, moussaillons et autres marins: aucun bateau ne sort du port en ce jour de fête. La semaine qui précède, on pêche deux fois plus, et on mange encore plus de poisson qu’à l’habitude. La soupe de la mère turcotte est alors aussi riche et goûteuse que celle qu’on sert dans les vrais restaurants. Rifraf s’y attendait. Il est venu la veille y prendre son unique repas: la mère turcotte offre l’une des rares soupe populaire où l’on sert autre chose qu’une simple infusion de tête de carpe.
Ce matin, il accompagne Shin Lao dans sa tournée mendiante sur le port. Les pèlerins ne sont pas encore nombreux, mais ils sont en général de toute façon moins généreux que la population active du port, et puis, si l’on patrouille avant la clôture du marché, il peut y avoir moyen de récupérer quelques prises plus ou moins fraîches et amochées que les pêcheurs auraient eu du mal à vendre.
Shin Lao repère au milieu des passants deux jeunes femmes qu’instinctivement il reconnaît comme étant dans une situation délicate, pour ne pas dire dangereuse sans pouvoir pour autant définir précisément ce qui pourrait les menacer. Il demande à Rifraf de les inviter à partager le repas communautaire avec les étudiants de Babu le Sage.
La première se nomme Anasthasia, jeune magicienne démunie venue à Laelith dans l’espoir d’y trouver des cristaux de larme de Dragon. La seconde, vous l’aurez probablement deviné, n’est autre que Thalestris, elle aussi sans le sous (et sans arme) qui se demande où trouver de quoi manger et où dormir ce soir. Bien sûr, elles acceptent l’invitation, mais se méfient tout de même un peu du trio: un jeune homme, apparemment mendiant, son chien, et son compagnon habillé d’une simple tunique faite de la même étoffe que celle qu’on utilise pour faire les sacs à pomme de terre.
La petite troupe s’éloigne de la chaussée du lac après avoir acheté quelques sardines et du pain avec les dons récupérés le matin, direction, les jardins du dénuement.
Le repas est simple mais offert de bon cœur. Rifraf, Thalestris et Anasthasia sont assis côte à côte dans un grand cercle où mangent aussi quelques élèves de Babu le Sage. Au centre, un feu où grillent les poissons, et Kerberos qui passe de gamelle en gamelle quémander un petit morceau de sardine.
Grand Dédé
Alors qu’ils déjeunent, un des habitués du jardin du dénuement s’approche du groupe. Il est grand, pâle et maigre; des cheveux lisses, dont la couleur quand ils sont propres semble tirer vers le blond lui cachent le regard. Il se passe constamment la main dans les cheveux vers l’arrière de la tête pour tenter de mieux voir, mais la mèche retombe invariablement sur ses yeux. Rifraf a tout de suite reconnu Grand Dédé: c’est l’un des personnages qu’on ne peut pas ignorer quand on habite au jardin du dénuement. Il n’a pas vraiment de profession, trafique souvent avec des gens louches, consomme de façon immodérée non seulement la Rigoulade (une herbe psychotrope aux effets secondaires malsains relativement bénins) mais aussi fort probablement des substances plus néfastes comme du Songe Utruz ou du Rêve d’Or. Grand Dédé scanne du regard les participants au repas, et s’arrête quand il aperçoit Rifraf. Il s’approche, s’assoit à ses côtés et s’adresse à lui.
“Belle journée, vous faites quoi aujourd’hui ?”
Rifraf, lui répond poliment “Bonjour ! Comme d’habitude, il n’y a rien d’autre à faire que rêver.”
“Et bien,” poursuit Grand Dédé, “J’aurais peut-être quelque chose à te faire faire, si tu es d’accord ! Voilà, hier, je suis allé aux pontons, pour parier sur ‘Le roi des moules’, un traniec qui me semblait sous-coté. Et j’ai gagné ce pari. Je te raconte pas de sornettes, une dizaine de pièces d’or ! “
Rifraf interrompt le récit pour expliquer quelques points aux deux visiteuses: “Les pontons, c’est comme ça qu’on appelle l’îlot avec le château en ruine qu’on a pu voir ce matin sur le port. Les paris, normalement interdits en ville, y sont là-bas autorisés: les pontons sont autonomes, avec leur propre lois. Ils organisent chaque soir des combats de traniecs, des sortes de homards géants. “
“Mais voilà”, continue Grand Dédé, “j’ai fêté ça en buvant un peu trop, et puis j’ai eu cette embrouille avec ce gars, il aurait pas dû me parler comme ça, il le refera plus. Et on m’a ramené à terre avec interdiction de revenir, et tout ça, avant que je ne récupère mon gain.”
Grand Dédé porte autour de son cou une ficelle avec au bout, un petit coquillage. Il l’enlève et la tend vers Rifraf. “Avec ce gage, tu peux récupérer mon argent. Si tu acceptes, je te donne une pièce d’or, qu’est ce que tu en dis ?”
Rifraf n’a pas trop confiance, il pense que Grand Dédé ment, ou oublie de dire quelque chose d’important. Il préfère refuser l’offre. Grand Dédé remet son collier en s’en va en disant “Si tu changes d’avis, tu sais où me trouver !”